Dans une société qui a perdu ses repères alimentaires, on constate un fort engouement pour les pratiques nutritionnelles de certaines populations en bonne santé ainsi que pour les menus de ses ancêtres.
La mondialisation aurait fait beaucoup de tort à notre alimentation. Le culte du « tout, tout de suite » a effacé les saisons, à l’étal des fruits et légumes, la planète s’invite à tous les coins de gondole dans les hypermarchés. Une diversité désordonnée, que côtoient l’offensive d’uniformisation des fast-foods, qui ont imposé à la planète le hamburger-frites comme « étalon-bouffe », et la déferlante des plats cuisinés sans cesse renouvelés, orchestrée par l’industrie agroalimentaire.
LA CONFUSION ALIMENTAIRE RÈGNE DANS LES MENUS
S’il est un symptôme immédiatement associe au déséquilibre alimentaire et à la malbouffe, c'est le surpoids et l’obésité. Environ 1,5 milliard d’êtres humains seraient en excès pondéral – surtout dans le monde occidental. Retour de manivelle : en France, environ 60% des femmes et 45% des hommes voudraient maigrir, bien plus qu’il n’y a de personnes concernées. Même constat pour l’Italie : environ 34% de la population souhaiterait maigrir.
La dictature de la sveltesse fabrique des excédés de la masse corporelle imaginaire. Pour la majorité des tourmentés, le remède à ce « problème » s’appelle régime, une prescription nutritionnelle restrictive souvent délivrée par des « experts » autoproclamés sur des bases scientifiques discutables.
Hyperproteiné, zéro graisse, zéro sucre… on ne compte plus les profils de régimes amaigrissants. L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu en Mai dernier un avis : la recherche de la perte de poids « sans indication médicale formelle comporte des risques cliniques, biologiques, comportementaux ou psychologiques ». L’arrivée du printemps multiplie les régimes amaigrissants, qui se retrouvent par dizaine dans les médias : la fenêtre de tir consensuelle, c'est l’été. Trois mois, un délai raisonnable pour gagner un cran sur la ceinture. En septembre, les kilos sont à nouveau lâchés, jusqu’au printemps suivant. C'est l’effet « yo-yo ». « Le défaut généralisé de ces régimes, c'est qu’il ne fonctionne pas dans la durée », sanctionne Laurent Chevalier, consultant en nutrition et médecin à Montpellier.
A CONTRE-COURANT, LES CULTURES TRADITIONNELLES
Depuis quelques années, une mouvance à contre-courant de la « méthode régime »saisonnière s’intéresse aux enseignements des cultures alimentaires dans le monde. Cette démarche empirique a permis d’identifier quelques régimes traditionnels porteurs de bénéfices sanitaires mesurables.
Le miracle cardiaque du régime crétois
L’un des points de départ est l’étude dirigée dans les années 1950 par Ancel Keys, professeur en santé publique américain, sur la mortalité cardiovasculaire dans sept pays (États-Unis, Grèce, Italie, Japon, Pays-Bas et Yougoslavie). Le résultat après quinze années d’observation, est une bombe : en Crète (Grèce), le taux de mortalité cardio-vasculaire est 7 à 26 fois inférieur à celui des autres populations ! De plus, les habitants vivent longtemps et en bonne santé. De quoi qualifier la découverte de « miracle crétois ». L’explication avancée tient au régime alimentaire spécifique de ces insulaires. Il se distingue par une abondance de poissons, de produits à base de lait de chèvre et d’huile d’olive –riche en acides gras insaturés (les « bonnes graisses ») –, ainsi que par d’importantes portions journalière de fruits et légumes, source de fibres et de vitamines… Et peu de viande.
Un régime santé méditerranéen
La vérification de l’hypothèse est tout aussi spectaculaire. Michel de Lorgeril, médecin à Grenoble, a piloté à Lyon une étude sur deux populations de 300 patients rescapés d’infarctus. Si les deux groupes ont été traités de manière identique sur le plan médical, l’un d’entre eux est mis à une diète « méditerranéenne » proche de l’alimentation crétoise. Un peu plus de deux ans plus tard, le taux de récidives y est 2,5 fois inférieur à celui du groupe témoin, , conclut le rapport final (1999).
Dans ce régime, la viande est aussi très discrète ; les poissons, les crustacé et l’huile d’olive sont en vedette, comme les fruits et les légumes (l’équivalent de six au total par jour, cuits ou crus). Les laitages de chèvre ou de brebis sont privilégiés (pas ou peu de lait de vache). On recommande aussi des fruits secs et un verre de vin rouge par repas est autorisé (ses tanins sont bénéfiques), des nuances par rapport au régime crétois, dont une particularité a cependant été peu étudiée : les insulaires consomment une grande variété de plantes sauvages, dont l’ortie, le pissenlit et la feuille d’amarante, aux excellentes qualités nutritives.
Manger plus sain évite des récidives
Le régime méditerranéen est prescrit aux personnes ayant subies un accident ou une intervention cardio-vasculaires, et ses bénéfices se confirment en prévention : les personnes dont les habitudes alimentaires sont le plus « méditerranéennes » sont plus épargnés par les maladies cardiaques et même par certains cancers. « L’étude de Lyon est à l’origine d’un mouvement diététique, auquel on doit notamment l’engouement pour les oméga 3 », relève l’agronome Claude Aubert, spécialiste des questions alimentaires. De ces régimes, il n’est pas interdit d’attendre des satisfactions côté bourrelets. Les principaux « tue-la-silhouette » - « mauvaises graisses animales, céréales et sucres raffinés, excès de lait de vache – en sont éliminés.
Laurent Chevallier s’est intéressé à une autre piste historique, les enseignements du régime de nos ancêtres. Les études indiquent que l’image d’Epinal des hommes de la tribu déchiquetant un mammouth à belles dents est une vue de l’esprit. Il y a 200 000 ans, les humains, chasseurs peu performants, se nourrissaient occasionnellement de viande, et surtout de végétaux (jusqu’à 400 espèces différentes) : fruits et baies, racines et tubercules, feuilles, tiges, graines, miel, etc.
« Aux époques reculées, les hommes et les femmes étaient minces (obésité : 1 %, contre 14 % de nos jours), et cela n’est pas dû qu’au degré d’activité physique ; parallèlement, rares étaient ceux qui souffraient de maladies chronique ou de cancer, notamment chez les enfants », argumente Laurent Chevallier dans son ouvrage Je maigris sain, je mange bien (éd. Fayard, 2011).
Et comme nos gènes, dans la fonction digestive, ont peu changé, il préconise, à l’instar de l’universitaire nutritionniste américain Loren Cordain, de s’inspirer d’un type d’alimentation par leur programmation génétique.
Laurent Chevallier propose ainsi une adaptation « urbain du XXIe siècle » du régime du chasseur-cueilleur (voir encadré ci-contre). On y retrouve plusieurs grands principes observés dans les régimes « santé » traditionnels, comme une modération de la consommation de viande et l’abondance de fruits et légumes. Mais la première règle édictée par le spécialiste est résolument moderne : éviter les contaminations chimiques ! Avant de penser à l’équilibre nutritionnel dans son assiette, il faut choisir des produits sains, de préférence bio et de saison, ayant subis le moins de transformations possible. Tout cela accompagné d’un vrai plaisir de manger. Une préconisation qui incite à retrouver les chemins de la créativité culinaire.
LES LEÇONS DE VIE DU RÉGIME OKINAWA
Il existe cependant un régime traditionnel, santé et sveltesse à la fois, qui fascine encore plus que celui des crétois. Il est pratiqué dans l’archipel d’Okinawa, au sud-ouest du Japon.
Une étude menée dans les années 1970 révèle une proportion singulièrement élevée de centenaires (presque trois fois plus qu’en France et en Italie), de plus en excellente santé pour la plupart, valides et actifs. Moins de 1% d’entre eux présentent un excès de poids. La moyenne d’indice de masse corporelle (IMC) au sein de la population y est de 20, contre 24 en France et 24,5 en Italie. Elle peut aussi se féliciter de connaitre très peu de cas de maladies chroniques modernes (maladies cardio-vasculaires, dégénératives, diabète, hypertension, cancers…).
La piste d’une caractéristique a été écartée : c'est bien l’alimentation –et plus largement, le mode de vie –qui creuse ces différences et fait d’Okinawa « l’ile aux centenaires ».
La piste d’une caractéristique a été écartée : c'est bien l’alimentation –et plus largement, le mode de vie –qui creuse ces différences et fait d’Okinawa « l’ile aux centenaires ».
Activité physique et art du bien-vivre
Sans surprise, la diète japonaise a pratiquement éliminé la viande et les laitages (l’espace est insuffisant pour pratiquer l’élevage). Au premier rang, des fruits, des légumes, des algues et du soja composent les trois quarts d’un repas. Du riz complet, de la patate douce et du poisson sont ajouté, mais en faible quantités. Pas de gluten (présent dans le blé et ces dérivés). Enfin, un peu comme en Crète, la tradition okinawane affectionne les herbes aromatiques, les épices et les condiments –curcuma, gingembre, galanga, cannelle, ail noir (local) aux propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires.
Un apport calorique moins important
La différence la plus fondamentale avec les menus méditerranéens et crétois tient à l’apport énergétique journalier : il n’est que de 1800 calories par personne, de 20% inférieur à la moyenne française. C'est un régime de « restriction calorique ». Il a été mesuré en laboratoire, sur des animaux, qu’une diminution de l’apport en calories se traduisait par un net allongement de la longévité : la machine énergétique de l’organisme s’économise. Pour autant, les Okinawans ne se plaignent pas de la faim. Ils mangent même beaucoup mais en portion modérément caloriques. Copier Okinawa, exporter et diffuser sa recette… la tentation est forte.
Plusieurs auteurs, notamment le « nutrithérapiste » Jean-Paul Curtay proposent des « parcours Okinawa » (en trois trimestres au moins) adaptés aux candidats occidentaux, tout en signalant que « tout n’est pas parfait » dans les habitudes alimentaires de l’archipel.
Plusieurs auteurs, notamment le « nutrithérapiste » Jean-Paul Curtay proposent des « parcours Okinawa » (en trois trimestres au moins) adaptés aux candidats occidentaux, tout en signalant que « tout n’est pas parfait » dans les habitudes alimentaires de l’archipel.
Attention aux vérités révélées
La marginalisation de la viande, une constante de ces régimes traditionnels, n’est pas une surprise : c'est plutôt la place prise par les consommations carnées, surtout en Occident, qui constitue une singularité historique, souligne Claude Aubert. L’agronome rappelle volontiers que les associations de céréales et de légumineuses, vivaces sous toutes les latitudes –riz et lentilles en Asie, haricots et maïs en Amérique latine, pois chiches et semoule de blé en Afrique du Nord…-, apportent en général autant d’acides aminés à l’organisme que la viande.
Laurent Chevallier reconnait aussi la valeur de sagesses nutritionnelles qui ont fait leurs preuves, mais il adresse une mise en garde à ceux qui fantasment un peu trop sur les vérités révélées : « il est absurde aujourd’hui de conseiller de consommer beaucoup de poissons, ou de fruits et légumes, sans se soucier d’une nécessité contemporaine clé : il faut savoir d’où ils proviennent et comment ils ont été produits, pour éviter de s’exposer aux métaux lourds, aux pesticides, etc. »
Laurent Chevallier reconnait aussi la valeur de sagesses nutritionnelles qui ont fait leurs preuves, mais il adresse une mise en garde à ceux qui fantasment un peu trop sur les vérités révélées : « il est absurde aujourd’hui de conseiller de consommer beaucoup de poissons, ou de fruits et légumes, sans se soucier d’une nécessité contemporaine clé : il faut savoir d’où ils proviennent et comment ils ont été produits, pour éviter de s’exposer aux métaux lourds, aux pesticides, etc. »
REVENIR AUX MENUS DE NOS ANCÊTRES
« Aux époques reculées, les hommes et les femmes étaient minces (obésité : 1 %, contre 14 % de nos jours), et cela n’est pas dû qu’au degré d’activité physique ; parallèlement, rares étaient ceux qui souffraient de maladies chronique ou de cancer, notamment chez les enfants », argumente Laurent Chevallier dans son ouvrage Je maigris sain, je mange bien (éd. Fayard, 2011).
Et comme nos gènes, dans la fonction digestive, ont peu changé, il préconise, à l’instar de l’universitaire nutritionniste américain Loren Cordain, de s’inspirer d’un type d’alimentation par leur programmation génétique.
Laurent Chevallier propose ainsi une adaptation « urbain du XXIe siècle » du régime du chasseur-cueilleur (voir encadré ci-contre). On y retrouve plusieurs grands principes observés dans les régimes « santé » traditionnels, comme une modération de la consommation de viande et l’abondance de fruits et légumes. Mais la première règle édictée par le spécialiste est résolument moderne : éviter les contaminations chimiques ! Avant de penser à l’équilibre nutritionnel dans son assiette, il faut choisir des produits sains, de préférence bio et de saison, ayant subis le moins de transformations possible. Tout cela accompagné d’un vrai plaisir de manger. Une préconisation qui incite à retrouver les chemins de la créativité culinaire.